De nombreuses formations se déroulent en ce moment dans les vignes sur des principes de taille visant à limiter les dépérissements. Revenons sur l’histoire des principes avec René Lafon en 1921, Eugène Poussard en 1911 et Reinhold Dezeimeris en 1891.
Le changement de la taille est l’un des faits marquants de la viticulture ces dix dernières années. Ce changement, on le doit côté français à François Dal, un conseiller viticole du Sicavac à Sancerre, et en Italie à Marco Simonit qui a développé la taille éponyme. Ils ont propagé de nouveaux concepts de taille visant à limiter les dépérissements des pieds de vigne. Des concepts en réalité très anciens ! Ces tailleurs de vigne se sont inspirés des travaux de René Lafon, un ingénieur agricole de Montpellier qui décrit la taille d’Eugène Poussard (1854-1929), viticulteur de Peugrignoux à Pérignac dans les Charentes. Dès 1911, ce viticulteur avait fait évoluer la taille guyot.
S'ajoute à ces deux propositions d'évolution, la taille douce de Marceau Bourdarias.
Des pieds « cariés »
En 1921, René Lafon publie « Modifications à apporter à la taille de la vigne dans les Charentes. La taille guyot-Poussard, l’apoplexie, traitement préventif, traitement curatif ». Pour rédiger ce livre, il s’inspire également de l’ouvrage de Reinhold Dezeimeris (1835-1913), « D’une cause de dépérissement de la vigne et des moyens d’y porter remède » paru en 1891, publié par les éditions Féret. Dezeimeris était un érudit girondin, conseiller général. En détaillant « les caries » du pied de vigne consécutives aux plaies de taille mal cicatrisées, il se pencha sur des cas de dépérissement des cépages herbemont et cunningham greffés sur jacquez, dans la région de Cadillac.
L’abandon de la serpette, l’arrivée des vignes greffées
Déjà à l’époque, Dezeimeris s’interroge sur les flux de sève, et sur les plaies de taille qui, à la fin du XIXe, deviennent plus importantes en raison de l’abandon de la serpette au profit du sécateur : « Je ne prétends pas que ce soit, en soi, un mauvais instrument, écrit-il. […] Mais son défaut principal est d’être trop commode et de dispenser celui qui le manie d’aucun effort de réflexion. »
C’est d’ailleurs cette même commodité de travail qui, un siècle plus tard, sera au moins en partie à l’origine de la recrudescence de l’esca avec l’apparition du sécateur électrique… « Quand on taillait à la serpette, explique Dezeimeris, on ne pouvait tailler qu’en bec de flûte — ce qui était un bien — et, pour tailler ainsi, il fallait encore examiner comment on devait s’y prendre : l’attention s’imposait, et elle forçait à méditer la taille que l’on allait faire. » À l’apparition du sécateur, s’ajoute fin XIXe celle des vignes greffées dont les bois sont « énormes et à constitution poreuse », observe encore Dezeimeris, alors que « les vieilles vignes indigènes sont à bois relativement grêles et serrés ».
La fin de l’échalas
L’arrivée du sécateur et des bois greffés - soudés ne sont cependant pas les seules causes de la réduction des flux de sève. En 1866, Eloi Trouillet, un professeur de viticulture publie : « Culture de la vigne en plein champ, sans échalas, ni attaches ». Dans cet ouvrage, il condamne la pratique du provignage ou l’enfouissement des souches ou sarments, « une opération contraire aux lois de la nature, plutôt nuisible qu’utile ; […] source de maladies ; et qui exténue la vigne ». Il s’inquiète néanmoins de la taille rase. Mais la fin des échalas, du hautain, de la joualle, ou du kammerbau et de la quenouille en Alsace - réactualisée à titre patrimonial par la Confrérie des Bienheureux du Frankstein à Dambach-la-ville - préfigure l’arrivée du palissage, c’est-à-dire de la taille de la vigne dans un plan de palissage. Une taille en deux dimensions donc, au lieu d’être en trois dimensions comme en gobelet, ce qui réduit encore les possibilités de flux de sève.
D’ailleurs Deizemeris n’est pas tendre à l’égard de Trouillet : des techniques qui « livrent la vigne aux décompositions putrides, juge-t-il. […] Il ne semble pas avoir envisagé la question au point de vue de la sauvegarde si essentielle du contingent total des vaisseaux conducteurs de la sève ».
Mais il n'est pas le seul à signaler les dégats de dépérissement collatéraux à la modernisation. Déjà en 1881, Chrétien Oberlin dans La dégénérescence de la vigne cultivée constate que le phylloxera épargne vitis sylvestris qui pousse sur les bords du Rhin, sans doute en raison des inondations du fleuve jusqu'au non domestiqué, mais pas que... Pour lui, il y a un caractère "sauvage" ou "sauvageon" qui contribue à la résistance des vignes. Dans le livre La reconstitution du vignoble de Cadillac, paru en 1900, qui décrit l'évolution de la culture des vignes en joualle et en hautain vers le palissage, on est frappé de lire qu'avant le phylloxera, les seuls ravageurs de la vigne étaient l'oïdium et ... l'escargot !